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Réduire le nombre de viols au Luxembourg. Comment y arriver?

Questions parlementaires Politique sociétale Justice et sécurité Edy Mertens Alexander Krieps Gusty Graas

La police Grand-Ducale a récemment présenté les chiffres de délinquance pour l'année 2016. On constate que le nombre de viols a augmenté de 56 %. C'est dans ce contexte que les Députés du DP Alexander Krieps, Gusty Graas et Edy Mertens ont posé la question aux Ministres compétentes si une prolongation du délai de prescription pour viols à trente ans après la majorité serait utile et si les autorités judiciaires ont fait l'expérience d'amnésies traumatiques chez les victimes d'abus sexuels.

Question

Monsieur le Président,

Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer que, conformément à l’article 80 de notre Règlement interne, nous souhaitons poser la question parlementaire suivante à Monsieur le Ministre de la Justice et à Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure :

« La Police Grand-Ducale vient de présenter les chiffres de la délinquance de l’année 2016.  Bien que la délinquance générale ait diminué de 4,5% au Grand-Duché, le nombre de plaintes pour viols est passé de 68 en 2015 à 106 en 2016, soit une augmentation de 56%.

En France, les conclusions d’un récent rapport de Madame Flavie Flament et de Monsieur Jacques Calmettes ont d’ailleurs permis de réitérer publiquement la question de la prescription pénale des viols commis sur mineurs. Selon ce rapport, le délai actuellement en vigueur (20 ans à compter de la majorité de la victime) ne prendrait pas suffisamment en compte le fait que la victime mineure tarde souvent à dénoncer l’auteur de l’infraction, et que les victimes sont souvent muselées par la honte, la peur ou développent même une « amnésie traumatique ».

Dans ce contexte, nous aimerions poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre de la Justice et à Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure :

  • Après la publication des chiffres de la délinquance de l’année 2016, quelles conclusions ont été tirées par Messieurs les Ministres ? S’ils sont prouvés, comment lutter contre cette hausse significative du nombre de viols ?
  • Messieurs les Ministres peuvent-ils se rallier aux conclusions du rapport susmentionné, notamment à une prolongation du délai de prescription pour viols à trente ans après la majorité ?
  • D’une manière générale, quelle est l’expérience des autorités judiciaires en ce qui concerne l’amnésie traumatique chez les victimes d’abus sexuels ?  »

Veuillez croire, Monsieur le Président, en l’expression de notre très haute considération.

Alexander KRIEPS, Gusty GRAAS et Edy MERTENS
Députés

Réponse commune de Monsieur le Ministre de la Justice Félix BRAZ et de Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure Etienne SCHNEIDER à la question parlementaire n" 2917 du 11 avril 2017 des honorables Députés Alexander Krieps, Gusty Graas et Edy Mertens

1. Les chiffres énoncés dans la question parlementaire correspondent à ceux publiés par la Police grand-ducale à l'occasion de la présentation des chiffres de la délinquance en 2016. Ces chiffres reflètent une hausse du nombre de plaintes déposées en matière de viols auprès des unités de police. Les autorités prennent ce phénomène très au sérieux et ces enquêtes sont menées par des enquêteurs spécialisés issus des services de recherche et d'enquête régionaux respectivement du service de police judiciaire. Une lutte efficace contre cette infraction grave passe également par une adaptation régulière et une formulation adéquate de l'infraction de viol. Le Luxembourg a ainsi modernisé en 2011 les différentes infractions à connotation sexuelle. Les principales dispositions concernées sont:

1) l'attentat à la pudeur commis sans violence ni menaces et l'attentat à la pudeur commis avec violence ou menaces (articles 372 et 373 du Code pénal);

2) une formulation plus générale de l'infraction de viol (articles 375 et 376 du Code pénal);

3) l'exploitation sexuelle des mineurs (article 379 du Code pénal);

4) le commerce, la distribution ou l'exhibition publique de supports à caractère pornographique et la diffusion de messages à caractère violent et de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine (articles 383 et 385bis du Code pénal);

5) une nouvelle incrimination de la consultation sur Internet de contenus pédopornographiques (article 384 du Code pénal);

6) l'incrimination du fait de solliciter des enfants à des fins sexuelles (article 358-2 nouveau). L'article 375 relatif au viol prévoyait avant 2011 trois situations qui représentent des cas de non-consentement. Un viol était en effet défini comme étant un acte de pénétration sexuelle commis soit à l'aide de violences ou de menaces graves, soit par ruse ou artifice, soit en abusant d'une personne hors d'état de donner un consentement libre ou d'opposer la résistance. Une des difficultés majeures résidait dans l'administration de la preuve par la victime de l'absence de consentement exprimée selon un des trois modes énumérés à l'alinéa 1er de l'article 375. Le nouveau libellé de l'article 375 érige l'absence de consentement en élément constitutif de l'infraction de viol. Les trois cas de figure de non-consentement qui figuraient auparavant à l'article 375 sont maintenus à titre purement indicatif. Il s'ensuit que tous les cas de rapport sexuel non consenti tombent désormais sous le coup de l'article 375 du Code pénal.

2. Il est renvoyé à la réponse donnée en date du 17 février 2017 à la question parlementaire de l'honorable député Nancy Arendt ayant le même objet. Les chiffres communiqués par les autorités judiciaires et versés à l'appui de cette réponse renseignent que le nombre de prescriptions était réduit. Il faut souligner que la situation a encore évolué suite à la modification de l'article 637 du CIC introduite par la loi du 27 février 2012. Depuis cette réforme, le délai de prescription de l'action publique de certains faits commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers. Compte tenu de cette modification récente et des changements qu'elle a apportés, il n'est pas envisagé à ce stade de modifier l'actuel délai de prescription.

3. Amnésie traumatique (partielle ou complète) ou amnésie dissociative sont des façons de protection logiques et des réflexes de survie face à de tels traumatismes d'enfance. Ces mécanismes de protection psychique agissent sur la mémoire et sur la perception de la réalité. Les souvenirs ne se connectent pas entre eux et ne sont pas reliés à la réalité de l'adulte. Des trous de mémoire (en ce qui concerne les amnésies partielles) et l'absence totale de mémoire (amnésique traumatique complète) face aux souvenirs traumatiques auront comme conséquence des lacunes d'éléments concrets, de dates, de lieux et de repères en tant qu'adulte. Le déni peut donc aller de l'oubli partiel à l'oubli total des faits (amnésie traumatique complète). Des travaux neurobiologiques ont montré que cette amnésie traumatique est liée à une dissociation produite par des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont été mis en place par le cerveau pour échapper au risque vital du stress intense produit par les violences. En effet le stress intense entraîne une disjonction (au niveau limbique du cerveau) du circuit émotionnel et par conséquence une anesthésie émotionnelle et physique. A l'âge adulte le contexte de l'agression et le mécanisme de sauvegarde restent activés et la dissociation continue. La mémoire traumatique pourra parfois être activée mais elle sera anesthésiée et donc pas ressentie. La victime n'a pas accès aux événements traumatiques qui seront flous, indifférenciés comme irréels, sans connotation émotionnelle, ou soit même inaccessible, suivant l'intensité de la dissociation. L'amnésie dissociative (traumatique) se trouve catégorisée dans le DSM : troubles dissociatifs (F44.0) du DSM (version actuelle DSM 5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et est reconnu comme trouble psychiatrique. Les victimes souffrant de troubles dissociatifs (comme p.ex. le trouble dissociatif de l'identité, F44.81 du DSM 5) sont amenées à faire face à une fragmentation de leur personnalité et souvent elles sont quasi dans l'impossibilité de pouvoir dénoncer les viols subis durant leur enfance durant un délai de 10 à 20 ans après les faits. Il importe de préciser, dans le cadre des faits où la victime porte plainte pour viol après échéance d'un délai prolongé, que les enquêteurs établissent malgré tout un rapport destiné aux autorités judiciaires indépendamment d'une éventuelle prescription de l'action publique pour des faits dénoncés.

 


Alexander Krieps

Gusty Graas

Edy Mertens